dimanche 17 août 2025

Les serviteurs et le maître

 

Jésus aimait enseigner en paraboles. Ces histoires tirées du quotidien, pour enseigner une vérité spirituelle, demeurent d’une force intacte aujourd’hui. Les paraboles ont l’apparence de la simplicité mais elles sont d’une profondeur parfois insoupçonnée, voire d’une complexité redoutable. Les évangiles ne cachent pas d’ailleurs la perplexité qu’elles pouvaient produire, y compris chez les disciples de Jésus… En voici un exemple.

Luc 12.35-48
35Soyez prêts à agir, les manches retroussées et vos lampes allumées. 36Soyez comme des serviteurs qui attendent leur maître au moment où il va revenir d'un mariage, afin de lui ouvrir la porte dès qu'il arrivera et frappera. 37Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera éveillés ! Je vous le déclare, c'est la vérité : il retroussera ses manches, les fera prendre place à table et viendra les servir. 38S'il revient à minuit ou même plus tard encore et qu'il les trouve éveillés, heureux sont-ils !
39Comprenez bien ceci : si le maître de la maison savait à quelle heure le voleur doit venir, il ne le laisserait pas pénétrer dans la maison. 40Tenez-vous prêts, vous aussi, car le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne pensez pas. »
41Alors Pierre demanda : « Seigneur, dis-tu cette parabole pour nous seulement ou bien pour tout le monde ? »

Je m’arrête quelques instants ici, avant de lire la suite. La question de Pierre est très intéressante. Elle traduit la perplexité que les disciples eux-mêmes pouvaient connaitre à l’écoute des paraboles de Jésus. Pour qui Jésus parle-t-il ? Pour ses disciples ou pour tout le monde ? 

On peut imaginer que Pierre pose la question parce que Jésus avait l’habitude d’enseigner de façon publique, à qui voulait bien l’entendre. Ce qui pouvait perturber un peu les disciples : ce que Jésus disait les concernait en tant que disciples ou la signification de son enseignement avait-elle une portée plus large ?

Peut-être que les disciples se demandaient aussi ce qu’ils allaient faire plus tard de ces paraboles. Ce qu’ils entendent de Jésus, doivent-ils le garder pour eux ou le transmettre plus loin ? Est-ce que ça fait partie de leur formation de disciple ou est-ce qu’il s’agit d’un message universel, que tout le monde peut entendre ? 

En tout cas, Jésus répond par une autre parabole. Une parabole qui prolonge la précédente, voire qui la redit différemment, en mettant l’accent ailleurs. Cela nous dit sans doute aussi quelque chose de la façon dont Jésus enseignait. Il devait redire à plusieurs reprises ses différentes paraboles, les adaptant à l’auditoire auquel il s’adressait, mettant l’accent sur tel ou tel aspect de l’histoire. Ce n’était pas des histoires figées mais des métaphores vivantes, capables de s’adapter aux circonstances. 

Reprenons donc avec la question de Pierre et lisons la suite de notre texte : 

41Pierre demanda : « Seigneur, dis-tu cette parabole pour nous seulement ou bien pour tout le monde ? »
42Le Seigneur répondit : « Qui est donc le serviteur digne de confiance et intelligent ? C'est celui que son maître chargera de veiller sur la maison et de donner aux autres serviteurs leur part de nourriture au moment voulu. 43Heureux ce serviteur si le maître, à son retour chez lui, le trouve occupé à ce travail ! 44Je vous le déclare, c'est la vérité : le maître lui confiera la charge de tous ses biens. 45Mais si le serviteur se dit : “Mon maître tarde à revenir”, s'il se met à battre les autres serviteurs et les servantes, s'il mange, boit et s'enivre, 46alors le maître reviendra un jour où le serviteur ne l'attend pas et à une heure qu'il ne connaît pas ; il chassera le serviteur et lui fera partager le sort des gens indignes de confiance. 47Le serviteur qui sait ce que veut son maître, mais qui n'a rien préparé ou qui n'a pas agi selon la volonté de son maître, recevra de nombreux coups. 48En revanche, le serviteur qui ne sait pas ce que veut son maître et agit de telle façon qu'il mérite d'être puni, recevra peu de coups. À qui l'on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l'on a confié beaucoup, on demandera encore plus.

A la question posée par Pierre, Jésus répond par une parabole similaire à la précédente. Il y est toujours question de serviteurs à qui un maître a confié la gestion de sa maison. Il y a pratiquement la même béatitude : « Heureux ce serviteur si le maître, à son retour chez lui, le trouve occupé à ce travail ! » Il y a aussi le même appel à la vigilance, à rester éveillé car nul ne sait le jour où le maître reviendra. 

Mais Jésus ajoute un avertissement pour les mauvais serviteurs, ceux qui n’effectuent pas leur travail, et pire, qui abusent de leur autorité par la violence contre les autres serviteurs, et profitent de leur position pour s’en mettent plein la panse. Ceux-là ne seront pas heureux au retour du maître !

Et Jésus ajoute encore une précision importante, en lien avec la question de Pierre : le traitement réservé aux mauvais serviteurs ne sera pas le même si ces derniers connaissent bien le maître et ce qu’il veut, ou si ce n’est pas le cas. Le traitement sera différencié, avec une rétribution plus ou moins sévère en fonction de la connaissance que chacun avait du maître et de sa volonté. 

« À qui l'on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l'on a confié beaucoup, on demandera encore plus. »

Vous remarquerez que cette dernière formule concerne ceux à qui l’on a beaucoup donné… autrement dit ceux qui connaissent bien le maître. Jésus, ici, répond à Pierre qui a, lui, beaucoup reçu puisque Jésus l’a appelé à devenir son disciple. Quant à ceux qui ont moins reçu, le maître s’en occupera. De façon juste et équitable. C’est son affaire. 

L’enseignement de Jésus est-il donc pour ses disciples seulement ou pour tout le monde ? La réponse est : pour tout le monde. Mais tout le monde n’a pas à l’entendre de la même façon, en fonction de ce qu’ils ont connu ou vécu. 

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette double parabole ? Je vous en propose trois :


Tout être humain est au service de Dieu, qu’il en soit conscient ou non

Dans la deuxième parabole, tout le monde est serviteur du maître. Les uns le savent bien, ils connaissent ce que leur maître veut. Les autres ne savent pas ce que veut le maître. Ils n’en sont pas moins serviteurs pour autant. Et s’ils agissent mal, ils devront en rendre compte. 

Voilà un enseignement général de Jésus, et de la Bible dans son ensemble. Tout être humain est créature de Dieu, faite à son image, et aura des comptes à rendre à son Créateur. Dit comme ça, ça peut paraître un peu culpabilisant…

Mais on peut aussi le dire autrement : Dieu attend quelque chose de nous, comme un maître attend quelque chose de ses serviteurs. Et il sait reconnaître nos bons services, même si on ne le connaît pas vraiment comme maître. Cela, on le retire plutôt de la première parabole, mais la deuxième en est un prolongement… 

Ne peut-on pas y voir une invitation à discerner ce qui se fait de bien autour de nous, au-delà du cercle des seuls croyants ? Tout être humain est serviteur de Dieu, même sans le savoir, et il peut accomplir de bonnes et belles choses. Sachons saluer les initiatives positives, les combats utiles, les innovations justes et bonnes… et même nous y associer !


Ce n’est pas la connaissance qui fait de nous de bons serviteurs mais ce que nous faisons

Quant à nous, en tant que croyants, veillons à la façon dont nous mettons en pratique ce que nous avons reçu… C’est une autre leçon de cette double parabole. 

Ce qui distingue les bons serviteurs des mauvais serviteurs, ce n’est pas leur connaissance du maître et de sa volonté, c’est ce qu’ils font en tant que serviteurs. Et dans la deuxième parabole, il y a des mauvais serviteurs aussi chez ceux qui connaissent bien leur maître. Et ils seront jugés plus sévèrement.

Il ne suffit pas d’être chrétien pour être un bon serviteur de Dieu. Il ne suffit de croire en Dieu, de prier et de lire la Bible, d’aller au culte le dimanche voire de témoigner de sa foi pour être un bon serviteur. 

On sait quels dégâts ont pu faire et font encore certains « bons chrétiens », bien propres sur eux le dimanche, mais dont la vie quotidienne, ou au sein de leur famille, contredit de façon criante la foi qu’ils professent, qu’ils prient et qu’ils chantent. Il n’y a pas de pire contre-témoignage !

Les bons serviteurs se retroussent les manches ! La Nouvelle Français Courant traduit par « se retrousser les manches » une formule qui dit littéralement en grec « mettre la ceinture aux reins ». En réalité, il s’agit de se mettre en tenue de travail, d’attacher sa ceinture pour ne pas être gêné par son vêtement alors qu’on travaille. En français, ça convient donc très bien de dire « se retrousser les manches », une expression qui signifie « se mettre au travail ». 

Le bon serviteur est celui qui se retrousse les manches, qui se met au travail, au service des autres. C’est celui qui démontre qu’il aime Dieu en aimant son prochain comme lui-même. Et le serviteur fidèle est celui qui le fait avec persévérance, sans se lasser. 


Le Seigneur honore toujours ses serviteurs fidèles

Il ne faut pas oublier la première parabole, qui porte un regard plus optimiste sur l’histoire racontée puisqu’elle s’intéresse seulement au serviteurs fidèles et persévérants, ceux qui savent attendre leur maître même s’il tarde un peu et qui travaillent jusqu’à son retour. « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera éveillés ! » (v.37)

Et puis il y a cette image incroyable dans la suite du verset, à propos du maître : « Je vous le déclare, c'est la vérité : il retroussera ses manches, les fera prendre place à table et viendra les servir. ». 

A la fin de la parabole, c’est le maître qui prend la place de ses serviteurs, et les serviteurs eux, se retrouvent à la table du maître. Le maître honore ses serviteurs fidèles. Le Seigneur sait reconnaître la fidélité de ses serviteurs, et il sait les honorer pour cela. 

Le bien que nous faisons autour de nous, l’amour que nous témoignons à notre prochain, les combats que nous menons pour la justice, la paix, la réconciliation, tout cela n’est pas vain. Même si les fruits peuvent sembler limités, même si ça se voit peu… Dieu le voit et il y prend plaisir. Et un jour il nous honorera. Comme le dit le maître d’une autre parabole de Jésus, la parabole des talents : « C'est bien, bon et fidèle serviteur ! Entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu 25.21)


Conclusion

Les enseignements de Jésus concernent tout le monde, mais chacun est appelé à les recevoir pour lui-même, de façon personnelle. Finalement, recevoir l’enseignement de Jésus, ce n’est pas tellement accumuler de nouvelles connaissances, c’est apprendre à mieux le connaître, lui, et sa volonté. C’est apprendre à devenir un meilleur serviteur, un meilleur disciple. 

Car le Seigneur attend bel et bien quelque chose de nous. Il nous connaît et nous voit. Il sait reconnaître ce que nous faisons pour lui et pour notre prochain. Et il honore toujours ses serviteurs fidèles.